An exceptional 9.89 carats photochromic zircon
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Un exceptionnel zircon photochrome de 9.89 carats

 

Nous avons eu la chance d'observer et d'analyser un remarquable zircon de 9,89 ct montrant un changement de couleur prononcé de l'orange vif au brun foncé après une illumination aux UVL. Nous résumons ici les premières analyses de l'un des plus grands zircons présentant un photochromisme de type T.

Au cours des années 1970, l’actuelle Swiss Gemmological Data Foundation (SGDF) a reçu en don un remarquable zircon brun d’environ 9,89 carats (≈ 10,08x10,95x7,31 mm ; Figure 1) et d’origine inconnue. L’identification de cette gemme a été confirmée par spectroscopie Raman. L’observation microscopique révèle des zonages de couleur (brun à quasi-incolore) relativement marqués et la présence de regroupements de petites inclusions prismatiques allongées. En raison de leur taille, la nature exacte de ces inclusions reste, pour le moment, indéterminée. Cet imposant zircon a éveillé la curiosité lors de l’observation du changement de sa couleur, devenant plus clair après plusieurs mois de stockage dans l’obscurité. L’exposition à la lumière visible semblait avoir l’effet inverse et assombrir progressivement la couleur. Ce phénomène correspond à une propriété identifiée dans d’autres gemmes telles que les sodalites-hackmanites ou les diamants dits « caméléons » : le photochromisme (Blumentritt & Fritsch, 2021, 2022).

Le photochromisme est une propriété optique rare caractérisée par un changement de couleur réversible après une exposition à une radiation électromagnétique – le plus souvent une exposition aux ultraviolets (Bouas-Laurent & Dürr, 2001). La réversibilité du changement de couleur se fait soit par exposition à une autre radiation électromagnétique (par exemple la lumière du jour), soit par l’action de la température (chauffage de l’échantillon). Ces deux conditions de retour à l’état initial sont respectivement notées photochromisme de type P et photochromisme de type T (Bouas-Laurent & Dürr, 2001).

Dans notre cas, ce remarquable zircon présente une couleur brun-orangé relativement foncée à la lumière du jour et manipulé dans des conditions normales d’observation (température ambiante ≈ 20°C, éclairage LED 3600K ; Figure 1 au centre). Cet état est pourtant considéré comme intermédiaire. En effet, lorsqu’exposé aux UVL (365 nm) pendant quelques secondes, la couleur vire au brun foncé (Figure 1, droite). Aucune luminescence notable n’a été observée durant l’exposition du zircon aux UVL ou aux UVC d’une lampe UV à main. La couleur brune photogénérée par les UVL correspond à l’état excité ou métastable. Le retour à l’état stable se fait ici par désexcitation thermique. La coloration brune disparaît après plusieurs mois dans l’obscurité, la température ambiante étant suffisante pour le retour à l’état stable et l’absence de lumière empêchant l’excitation. La coloration brune peut également disparaître en quelques secondes quand l’échantillon est chauffé aux alentours de 100-110°C avec un pistolet thermique, forçant le retour à l’état stable. Dans cet état stable, le zircon arbore alors une couleur orange lumineux très vibrante (Figure 1, gauche). Enfin, quand la pierre se refroidit jusqu’à température ambiante, l’éclairage artificiel d’une pièce est suffisant pour qu’elle retourne à son état intermédiaire brun-orangé.

zircon photochrome de 9.89 carats
Figure 1 : Photo composite du zircon photochrome (9.89 ct) avec, à gauche, l’état stable orange vif obtenu après chauffage (≈100°C, quelques secondes), au centre l’état dit intermédiaire brun-orangé observé en conditions usuelles (lumière visible artificielle) et à droite l’état excité brun foncé observé après exposition prolongée (2 min) aux UVL (365 nm). Photos de F. Blumentritt.

 

Ces observations correspondent donc à un photochromisme de type T et ont été définies dans un article précédent comme un comportement de type 2 parmi les 3 comportements photochromes observés dans les zircons (Blumentritt & Fritsch, 2021). Les spectres d’absorption des deux états* – stable et métastable – sont également cohérents avec ceux observés dans d’autres échantillons ayant le même comportement photochrome (Figure 2). On y retrouve des absorptions liées à l’uranium (654 et 691 nm) qui ne semblent pas modifiées par la réaction photochrome. En revanche, des bandes larges à 510 et ~800 nm voient leur absorption respectivement diminuer et augmenter lors du passage de la couleur orange à la couleur brune. Si la bande d’absorption à 510 nm est attribuée à un centre coloré complexe lié à l’yttrium (Zeug et al., 2018), la bande large autour de 800 nm reste inexpliquée.

Spectre Zircon
Figure 2 : Spectres d’absorption du zircon dans son état stable, orange et dans son état métastable, brun foncé.

 

Bien que le photochromisme des zircons ait été déjà décrit dans la littérature (Koivula & Misiorowski, 1986; McClure, 2011; Renfro, 2016; Suthiyuth, 2014), l’explication du changement de couleur reste encore incomplète. Par comparaison avec d’autres gemmes photochromes (voir par exemple : Byrne et al., 2014 ; Claffy, 1953 ; Kondo & Beaton, 2009 ; McClure et al., 2005), au vu des énergies mises en jeu dans la réaction (rayonnement UVL, énergie thermique ≈ 100°C) et des répercussions sur le spectre d’absorption dans le domaine visible, il est probable qu’un transfert électronique soit la source du photochromisme dans le zircon. Cependant, il reste à définir quels sont les centres donneurs et accepteurs d’électrons. Etant donné que le zircon n’est pas intrinsèquement photochrome, il s’agit probablement de défauts intrinsèques ou extrinsèques comme des substitutions, des atomes interstitiels, des lacunes ou des combinaisons plus complexes de ces défauts. La définition de ces centres fait actuellement l’objet d’une étude plus approfondie des deux auteurs dans une collaboration internationale (GGTL Laboratories, Suisse ; Nantes Université, France ; Université de Vienne, Autriche). Le remarquable échantillon étudié ici fait partie d’un lot de zircons présentant d’autres comportements photochromes qui feront l’objet d’une étude ultérieure plus détaillée.

 

*Les spectres d’absorption ont été enregistrés en plaçant l’échantillon dans une sphère intégratrice. Le zircon a d’abord été chauffé jusqu’à ~100°C et placé encore chaud dans la sphère pour le maintenir le plus possible dans son état orange pendant l’acquisition du spectre. Sans le bouger, le zircon a ensuite été exposé aux UVL pendant environ 5 minutes après son refroidissement pour acquérir le spectre dans son état brun foncé.

 

Références bibliographiques

 

Auteurs

 

© Association Gemmologie & Francophonie. Cet article a été publié dans "GEMMES". (2023), N° 1, pp 15-17.